lundi 26 août 2013

Juliette forever de Stacey Jay

La couverture de ce livre me faisait de l'œil depuis quelques mois. La quatrième de couverture titillait ma curiosité. Et j'assiste à une représentation théâtrale sur le sujet avec mes élèves. Il n'en a pas fallu davantage pour que j'achète "Juliette forever" de Stacey Jay.
Jugez plutôt ce résumé apéritif des éditions Macadam :
 
"
Oubliez tout.
Oubliez Roméo qui se tue pour Juliette.
Oubliez Juliette qui se tue pour Roméo.
La vérité? Les deux amants sont devenus immortels... mais ennemis à jamais. Depuis quatre siècles, Roméo s'acharne à séparer ceux qui pourraient s'aimer quand Juliette doit tout faire pour les réunir.
Entre les deux anciens amants, tous les coups sont permis. Car l'amour a fait place à la haine. Pour toujours.
Vraiment?"
 
Ah? Avouez! Voilà qui a de quoi apostropher le client, non? Apostrophée, je fus. Hélas, pas pour longtemps.
Si l'objet est infiniment plaisant à tenir en main ( qualité de la couverture, grands caractères, chapitres pas trop longs), le contenu m'a nettement moins enthousiasmée. C'est très roman "fleur bleue", y a pas à dire. Et même si je suis romantique, je dois avoir passé l'âge des romans trop édulcorés où les "je t'aime - moi non plus" constituent les ressorts principaux d'une histoire.
Certes, c'est mignon. Certes, le lecteur se demande comment tous les drames successifs vont se résoudre. Certes. Mais malgré cela, je n'ai pas réussi à m'imprégner des héros, à vibrer en même temps qu'eux.  Il n'est pas question de qualité littéraire ou de mauvaise construction narrative ( même si les références constantes aux Ambassadeurs et aux Mercenaires rendent parfois le récit embrouillé), mais la magie n'a pas opéré sur moi. Je le regrette mais peut-être agira-t-elle sur vous?
 
 
 

Prix Farniente 2014 (suite)

J'ai donc poursuivi mes courses marathon en lectures pour la préparation de ma rentrée. Comme je vous le disais, ce sont les sélections du prix Farniente qui ont accaparé toute mon attention ces derniers jours.
 
"L'homme qui court" de Michael Gerard Bauer est un très beau livre.Très bien écrit et qui mérite une longue réflexion car il propose une histoire qui peut paraître simple mais qui regorge de situations complexes à appréhender. Joseph a 13 ans et est très doué en dessin. A la maison, il y a sa maman et parfois son papa. Un papa qui travaille très loin, ce qui n'est pas toujours simple à vivre. Très souvent, il y a aussi une voisine sans-gêne : Madame Mossop. Une voisine qui a l'œil a tout ce qui se passe dans le quartier tranquille où ils habitent. Madame Mossop qui a une opinion très tranchée sur tout le monde et notamment sur les Leyton qui vivent juste à côté de chez Joseph. Pourtant Caroline Leyton est charmante. Elle propose à Joseph de tondre la pelouse. Et puis, elle va également lui proposer de faire le portrait de Tom, son frère. Un homme mystérieux dont on raconte beaucoup de choses inquiétantes. Pour s'affranchir de sa réputation de garçon trop timide, Joseph va accepter. Et découvrir qu'il faut souvent gratter profondément sur la surface pour connaître réellement une personne.
"L'homme qui court" est vraiment une belle histoire. Très riche. Les personnages sont tous attachants et le récit n'est pas moralisateur. L'auteur a su déjouer le piège de la morale bien lourde pour simplement raconter un récit plein de finesse et de saveur. Où l'humain se révèle tel qu'il est : complexe et multiple. Même Madame Mossop, très caricaturale au départ, va acquérir une épaisseur qui la rend nécessaire et attachante.
Un livre à conseiller donc, même si les lecteurs moins "pratiquants" risquent aussi de lui reprocher une relative lenteur.

"Bras de fer" de Jérôme Bourgine.
Julian a 18 ans et tout pour être heureux. Du moins, presque tout. Il aimerait obtenir de son père un
autre regard, un regard de reconnaissance, de fierté. Le seul moyen pour y parvenir? Le battre au bras de fer. Sauf qu'un accident de moto vient bouleverser le fil de l'existence. Et pour Julian et ses proches, pour Leïla - sa merveilleuse petite-amie - commence une longue plongée dans les recoins les plus noirs de l'humanité.
Ici, par contre, après un début prometteur, le livre m'a ennuyée pour ne pas dire pire. J'ai retrouvé dans ce livre tout ce que je reproche à la littérature pour jeunes adultes : l'ambiance glauque, le plaisir de s'enfoncer dans une réalité la plus sombre possible, avec des détails sur la descente aux enfers des deux héros dont je me serais bien passée. Je n'aime pas les livres qui ressemblent à un article de la DH et là, même si c'est écrit de façon correcte, je n'ai fait qu'assister à un journal qui s'étale sur les aspects morbides et négatifs de l'existence. Je ne doute pas cependant qu'il plaira à beaucoup puisque c'est souvent le genre de thème qui séduit les jeunes de mes classes.
 
"La guerre de Catherine" de Julia  Billet.
 
Julia Billet est la fille de l'héroïne dont elle narre l'aventure. L'histoire s'inspire donc de faits réels mais modifiés par la main d'une auteure qui a voulu avant tout raconter une histoire.
Rachel est élève dans une école où l'on expérimente une nouvelle méthode pédagogique. C'est la guerre. Rachel n'a plus de nouvelles de ses parents. Mais elle a deux amis qui lui permettent de faire l'impasse sur ce qui se déroule hors des murs de la "maison des enfants de Sèvres". Deux amis et une passion nouvelle pour la photo. Seulement la réalité est là et bientôt, elle jette la jeune fille sur les routes de France pour échapper à l'Allemand nazi. Rachel devenue Catherine devra oublier qui elle était pour survivre. Grâce à son appareil photo, elle se fait le témoin des violences et des beautés de cette guerre. Car il y a de la beauté dans les rencontres qu'elle fait, dans les gens qui de façon simple l'accueillent, au mépris du danger qu'elle fait planer sur eux.
Récit diablement bien écrit, le livre risque ici aussi de susciter la critique des jeunes par sa lenteur. Et pourtant, il mérite vraiment un détour et une analyse tellement l'évolution de Rachel/Catherine à travers son art est intéressante.
 
"Le cœur en braille" de Pascal Ruter.

Victor est un cancre. Il ne fait rien de bon à l'école. Lire est une torture. Les maths une source
d'incompréhension majeure. Pourtant, Victor est de bonne composition, il ne demande pas mieux que d'apprendre. Il retient d'ailleurs sans difficulté les 1001 détails concernant la Panhard, célèbre voiture aujourd'hui disparue pour d'autres marques plus rentables, vestige d'une époque désormais révolue.
Pour Victor, la vie n'est donc pas toujours rose. Heureusement, il y a Haïçam, un petit génie, fils du gardien de l'école. Et puis un jour, il y a aussi Marie-José. Marie-José qui a une QI drôlement élevé. Marie-José qui joue du violoncelle. Marie-José, allez savoir pourquoi, qui s'est mis en tête de collaborer à l'éducation de Victor.
Pascal Ruter tisse une jolie histoire sans prétention avec des personnages attachants. Je lui reproche juste de s'enliser parfois dans son récit. De le rendre long par certaines répétitions de situations. Et par des digressions pas toujours claires.
La couverture est adorable et illustre vraiment bien le roman. C'est elle qui m'a donné envie de découvrir le bouquin. Et même maintenant que je l'ai lu, elle suscite toujours en moi une émotion indéfinissable.
 
Voilà qui termine probablement mes pérégrinations dans l'univers Farniente 2014 dont je souligne la qualité et la pertinence de classement d'âge.
 

 

mercredi 21 août 2013

Rentrée littéraire : mes choix



challenge album


Après quelques recherches, je crois que je vais me tourner vers les titres suivants : https://www.amazon.fr/registry/wishlist/2TIX9UI2SSISD/ref=cm_wl_rlist_go_o_C-4

Bon, évidemment, il y en a 9 et pas 6, je vais donc voir jusqu'où je peux aller dans ce challenge.

mardi 20 août 2013

Challenge rentrée littéraire 2013 : soyons fous!

Quitte à être folle autant l'être jusqu'au bout, je me suis lancée dans un challenge "rentrée 2013" en compagnie de Plume de Cajou et de Délivrer des livres :
 
Il ne me reste plus qu'à sélectionner les 6 livres :-)

dimanche 18 août 2013

Contagion ludique (next)

Voilà 8 années que je partage mes jours avec un joueur. Les premiers temps, l'homme a voulu m'initier à sa passion et je dois reconnaître que cela n'a pas tellement bien fonctionné. Les joueurs sont en effet des gens assez spéciaux avec un humour corrosif qui peut ébranler les plus complexés. Très vite, j'ai donc développé un syndrome de stress ludique qui me rendait malade dès que l'homme prononçait les mots ' jeu, jouer ou joueurs". J'ai arrêté.
Mais je suis restée à l'écoute de ses aventures et j'ai fini par revenir au jeu à travers le jeu de rôle ( pour découvrir mes pérégrinations, lisez donc le blog d'un MJ : http://lartdelatable.wordpress.com, DD, itinéraire  d'une rôliste nouvellement née, moi en l’occurrence ^^). Et avec nos dernières vacances, je vous avouais avoir eu un coup de cœur pour "Race for the Galagy". Coup de cœur qui ne se dément pas, j'ai arrêté de compter le nombre de parties réalisées mais je suis sûre que, pour une fois, mon homme a rentabilisé ses achats! Car, si notre ludothèque est conséquente ( raisonnablement par rapport à d'aucuns toutefois), il n'en reste pas moins que la plupart des jeux dorment dans leurs boîtes et prennent la poussière. Ce qui est dommage. Aujourd'hui, poussée par la curiosité, j'ai donc décidé de franchir un nouveau pas et de choisir un AUTRE jeu (WOAW!!!) au grand étonnement de l'homme pour qui "à partir de 2 joueurs" signifie automatiquement "plus de 2 joueurs". Mais grand prince, il a finalement accepté. Et il a eu bien raison. 
J'ai ainsi découvert Gingkopolis, un jeu de Xavier Georges - un copain de l'homme, ça le fait toujours de connaître des "célébrités". 
Et bien, même si j'ai perdu ( saperlipopette, je ne m'y attendais paaaaaaaaaas du tout), j'ai bien aimé ce jeu fort sympathique aux règles a priori complexes mais qui une fois lancée dans la partie, ne m'ont pas non plus trop turlupinée. 
Je profite donc de l'occasion pour 
- faire la pub de ce jeu ( à essayer avec quelqu'un qui connaît bien les règles, c'est toujours plus agréable)
- promouvoir le jeu de société à 2 (même quand la boîte prévoit un plus grand nombre de joueurs possible) 
- me féliciter ( applaudissements siouplèèèè) d'avoir su rester "open mind" face à une pratique que je considérais comme trop compliquée pour moi.

Qui sait, peut-être qu'un jour je finirais même par jouer avec plusieurs joueurs en face de moi :-)

lundi 12 août 2013

Lorsque rentrée rime avec coup de coeur : "Quelques minutes après minuit" de P. NESS

C'est la rentrée qui se dessine et pour me préparer à cet événement, je dévore des livres qui pourront, je l'espère, plaire à mes élèves.
Cette année, après avoir scruté le web, j'ai choisi de me tourner vers deux sélections pour faire mes choix : celle du prix des lycéens de littérature et celle du prix Farniente. Les résumés de certains livres m'avaient accrochée et j'ai donc, par le biais de notre bibliothèque communale d'Andenne - que je salue au passage -, réservé plusieurs titres.
 
J'ai commencé par "Les étoiles de l'aube" de B. Gheur. Un très bon livre qui retrace les jours de libération de la cité ardente à travers des témoignages recueillis par le narrateur qui, le temps d'un reportage, revêt la cape de journaliste. C'est bien écrit, facile à lire et rapide. Voilà déjà un titre à mettre sous la dent de ceux que fascine la seconde guerre mondiale.
 
 
Ensuite?
 
J'ai enchaîné avec " Si tu passes la rivière" de G. Damas. Là aussi, j'ai commencé le récit et n'ai plus su m'en détacher. François vit et travaille à la ferme. Avec son père et ses deux frères. Et les souvenirs de ceux qui sont partis : son frère Jean-Paul, sa mère Victorine et sa sœur Maryse. Le départ de Maryse est ce qui blesse le plus son cœur car elle était la seule à se montrer tendre. Alors, pour se consoler, François sympathise avec les cochons dont il a la responsabilité. Mais c'est douloureux de s'attacher à un cochon qui va finir dans votre assiette... Et puis, il y a toutes ses questions qui restent sans réponse. Alors François va chercher.
Un récit terrible et poignant, qui montre combien l'éducation est importante pour permettre d'y voir clair. Hop, encore un autre livre à présenter à mes cocos...
 
 
 
 
 
Et puis?
 
 
 
J'ai dévoré " Karen et moi" de N. Skowronek. Celui-là, je ne suis pas parvenue à le lâcher et pourtant, il ne figurera pas dans mes propositions scolaires. "Karen et moi", il faut avoir lu " la ferme africaine", avoir frémi en regardant " Out of Africa", trembler en attendant les mots " J'avais une ferme en Afrique". Sinon ça marche pas. Heureusement pour moi, ça a marché et j'ai aimé, aimé, aimé. Même si ce premier roman présente certaines faiblesses ( notamment un petit côté inachevé, je trouve), c'est excessivement bien écrit.
 
 
 
 
 
 
 
D'accord. Et après?
 
J'ai ouvert  " Les épines de la couronne" de H. Lejeune. Le sujet me plaisait car lié à la problématique des guerres de religions ( j'ai lu "les Fortunes de France" de R. Merle comme objet de mon mémoire). Jean Cavalier est protestant dans une France catholique dure. Comme d'autres, Jean ne supporte plus d'avoir à se cacher et il fera partie des révoltés des épisodes tragiques des dragonnades. C'est bien écrit mais malheureusement un peu long et pour finir, hélas, monotone.
 
Quoi d'autre ?
 
 
Laissant de côté " la maison de l'âme" de C. Deltenre au sujet trop fouillé pour m'attirer, je me suis enfin tournée vers l'objet réel de cet article : "Quelques minutes après minuit" de P. Ness.
Le livre est intriguant. Une couverture bleue, sombre, des branches d'arbres. A l'intérieur des illustrations pourraient laisser croire qu'il s'agit d'un album pour enfant. Il n'en est rien. Conor a 13 ans et sa maman lutte contre un cancer. Conor lui lutte avec sa maman. Mais il lutte aussi contre des comportements malsains de "camarades" d'école, il lutte contre la colère. Il lutte contre d'affreux cauchemars dont il n'ose parler à personne. Pas même à sa maman. Et puis un jour, en plus des cauchemars, Conor va devoir affronter le Monstre.
Un récit bouleversant, terriblement dur et juste qui a manqué de peu me faire pleurer tant c'était vrai. Des personnages poignants. Et cette réalité qui justement n'est pas un conte de fée. Je suis ressortie de ce livre après avoir lutté à mon tour et ressenti les mêmes émotions que ce bout d'homme courageux. Une lecture-choc. A lire avec précaution. Mais à lire de toute urgence!
 
 

mardi 6 août 2013

Vertige de Franz Thilliez

Voilà un livre qui m'a aussi réconciliée avec les thrillers qui s'avalent d'une traite, où l'on se dit "
c'est trop" mais où l'on est incapable d'arrêter même si cela devient écœurant!
L'intrigue se joue en un terrible huis-clos où trois hommes vont se réveiller prisonniers dans une grotte, cernés par des températures épouvantablement froides. Jonathan est enchaîné au poignet. Son chien est à ses côtés. Une tente, de quoi survivre quelques temps en se rationnant. Pour cet ancien champion de l'escalade en montagne, les réflexes reviennent petit à petit. Mais les deux autres prisonniers accepteront-ils de se plier à ses règles? Le mystérieux Farid, lié à la cheville, et Michel dont le masque de fer dissimule une bombe qui lui perforera le crâne s'il s'éloigne trop de ses compagnons d'infortune.
Franz Thilliez parvient à maintenir le suspense tout au long de cette histoire où le lecteur guette les réactions de ces êtres plongés dans la tourmente. Et non seulement il parvient à créer l'attente et à susciter les questions mais en plus, il contourne et devance les hypothèses au fur et à mesure qu'elles se dessinent dans notre esprit. Il parvient ainsi,jusqu'au bout, à nous surprendre.
 
Je crois que c'est ce que j'ai préféré dans ce roman : la capacité de Thilliez à me surprendre, à me faire des pieds de nez chaque fois que je pensais avoir résolu l'énigme. Le rythme est plutôt lent au départ : il met en place la situation et les personnages, pose les bases de toutes les interrogations : pourquoi ces hommes sont-ils enfermés-là? Pourquoi ces trois-là? Qu'ont-ils en commun? Et puis le rythme s'accélère. Les indices apparaissent, les souvenirs remontent à la surface. Et toujours l'horreur d'une situation mortelle où le froid et la faim sont omniprésents.
Je peux bien sûr reprocher à Thilliez de tirer un peu trop sur la ficelle à certains moments, trouver que le style n'est pas ce que j'ai lu de plus abouti et que la personnalité des personnages pourrait être plus fouillée. Certes, il n'en reste pas moins que ce n'est pas, je crois, son objectif. Son but est de nous distraire avec un intrigue efficace. Et là, je dis : pari gagné! 
 
 

lundi 5 août 2013

les filles de Cùchulainn de JF Chabas

 
Autant le dire tout de suite, voilà une petite pépite, un savoureux moment de lecture que j'ai dévoré en quelques heures.
"Les filles de Cùchulainn" c'est avant tout le récit d'une île et de la mer, de ses marins et des femmes qui attendent leur retour, parfois en vain. Ensuite, c'est l'histoire d'un amour. Celui qu'éprouve Mary pour Conrad. Conrad pour Mary. Depuis toujours et pour toujours sans vouloir tomber dans le trop sentimental, qui est un défaut totalement absent de ce roman. C'est aussi la rencontre avec un cheval, énorme, gigantesque, imposant : Cùchulainn. Qui ne sert à rien. Car il refuse obstinément de travailler. Il ne sert à rien jusqu'au jour de la naissance des filles de Mary. Et je préfère ne pas en dire davantage de peur de gâcher votre plaisir. Disons seulement que c'est très bien écrit ( avec cette étonnante particularité d'un auteur masculin qui parle à travers une voix de femme avec beaucoup de justesse) et que Cùchulainn et ses filles ne peuvent laisser indifférents. Bonne lecture!
 
Un petit extrait pour le plaisir :
 
"Un matin, j'ai su que j'étais enceinte. J'ai ouvert les yeux avant de sourire dans la pénombre de la chambre ; à bien y repenser, c'était une étrange certitude, car rien dans mon corps ne s'était encore manifesté. Mais il y a des tas de choses qu'on n'explique pas. Ceux qui prétendent le contraire - les terribles rationalistes - sont à plaindre, me semble-t-il. En tout cas je suis restée immobile, mains croisées sur mon ventre plat, draps remontés sous le menton, et j'ai continué à montrer mes dents au plafond, comme une demeurée, jusqu'à ce que les muscles de mes joues se crispent. C'a été un merveilleux réveil, je me le rappellerai toujours. Tandis que résonnaient les chants des oiseaux de l'aurore, je me suis demandé qui serait le petit occupant. Eh non, je ne savais pas ce qui m'attendait.
Sur Greene, notre île, il est impossible de prévoir le temps. Si au cœur du continent ou ailleurs on trouve un peu partout de soi-disant vieux sages vous affirmant avec une emphase confortée par leur grande expérience que, puisque le ciel est rose, il va faire beau, ou que comme les nuages sont ronds, la pluie arrive, sur Greene personne ne s'aventurerait à ce genre de ridicule. Personne ; pas même le plus gâteux des centenaires. Nous sommes, à n'en pas douter, une espèce de terrain de jeu pour les dieux malicieux, et ici la tempête succède au calme plat avec une déconcertante soudaineté. Aussi nos femmes de marins deviennent-elles veuves très tôt. Tout comme moi, avec mon Conrad.
J'avais toujours connu mon mari. Nous avions bâfré ensemble le sable de la plage tandis que nous tenions à peine debout, nous avions roulé dans le même crottin, et proféré les mêmes âneries, de nos voix de mouette ; nous avions reçu les mêmes taloches. Il me semble cependant que celles de la mère de Conrad étaient les plus violentes. C'était une forte femme. Ici, toutes les femmes sont fortes ; disons que c'était une forte femme parmi les fortes femmes de l'île, ce qui en faisait quelqu'un de redoutable pour chacun, et spécialement pour nous autres bambins. Elle est tout de même morte de pneumonie, par un hiver où les vents soufflaient avec une telle violence que j'ai vu de mes yeux deux bœufs couchés par une bourrasque, à l'instar de soldats de plomb valsant sous la chiquenaude d'un gosse. Conrad a tant pleuré que j'en avais le cœur brisé. Nous venions de fêter nos onze ans. Ce garçon qui exhibait déjà des mains d'homme, abîmées par les cordages, l'eau et le froid, était si sensible ; un instant, il m'est passé par la tête qu'il ne s'en relèverait pas, qu'il en resterait idiot, ou plutôt fêlé, c'est le bon terme, fêlé comme un vase pouvant se casser au moindre choc. Mais il a surmonté sa peine. Je veux croire que j'y suis pour quelque chose parce que je ne l'ai pas quitté d'une semelle et que je lui ai donné à cette époque mon premier vrai baiser, m'étourdissant autant que lui. Conrad était un garçon aussi gentil que viril ; il est demeuré semblable quand il est devenu un homme, et il n'y a pas beaucoup de filles capables de résister à ce mélange-là
."